Le Verbe s’est fait chair
Le Verbe s’est fait chair. « Venant du grand jour de l’éternité, Un grand jour éternel s’introduit dans notre jour temporel et si bref » ST Augustin (sermon 185)
« Au commencement était la Parole » ainsi commence le livre de la Genèse du monde. Saint Jean commence son livre par « le Verbe s’est fait chair et il a habité par nous. Certains lecteurs s’arrêtent à « le verbe s’est fait chair » développant l’idée que chaque fois qu’un enfant nait à la vie, la parole constitutive d’une vie humaine relationnelle prend chair. Assurément ils ont raison de parler ainsi mais ils ne rejoignent pas le message de Jean allant jusqu’à dire « et Il a habité parmi nous.
Divers philosophes contemporains échafaudent une construction du monde à partir de bribes évangéliques pour une interprétation en quête de cohérence – ce qui inspire le respect – mais ils ne prennent pas en compte la totalité du langage évangélique. Comte-Sponville veut élaborer une compréhension du monde et une morale en évacuant le cœur de la foi Chrétienne qui est la Présence de Dieu à l’histoire humaine.
Le Créateur, par sa Parole, a donné vie à l’aventure de la Création et a mis, au centre, la parole humaine créatrice, gardienne du cosmos. Son Envoyé le Christ est entré « en conversation » avec l’humanité pour guérir ses blessures que chaque être humain connait par expérience. Celui qui vient, vient pour « demeurer » dans l’histoire ; il porte le nom de « Sauveur » livrant à notre compréhension que nous sommes « perdus » ; c’est l’expérience douloureuse de beaucoup d’hommes et femmes qui explorent, en vérité, sans faux-semblant, leur existence. En effet la mort leur est comme un butoir. C’est ce butoir que le Sauveur est venu faire éclater par sa passion et sa résurrection.
On peut toujours articuler des pensées sur le monde. Mais les constructions se révèlent pathétiques quand l’expérience concrète de l’existence humaine s’impose à la conscience. Alors les châteaux de cartes, sans chair, s’effondrent devant le réel.
Notre temps a besoin, dans sa réflexion, de prendre en compte l’expérience existentielle de la vie, de l’amour et de la mort. Et c’est à ce point d’expérience que se tient l’expérience du Christ venu partager l’expérience humaine. Le parcours de l’existence chrétienne se fait alors dialogue d’expériences. Celle du Christ rejoint la nôtre pour une fécondité nouvelle.
Dans nos déserts, dans nos peurs, nos errances, nos faiblesses, sa passion devient langage de « compassion ». Dans nos aspirations à aimer, sa Parole de bienveillance à l’adresse des pauvres, des malades, des égarés de l’amour telle la femme adultère ou Marie-Madeleine, nous brûle cœur. Dans l’aspiration à une plénitude vie, sa résurrection nous ouvre le chemin d’une guérison totale, et d’un accomplissement de nos amours maladroites. S’il en est ainsi, c’est que Dieu nous aime et veut que nous soyons comme lui, avec lui dans un éternel présent, corps spirituel avec la même identité personnelle. Au commencement l’homme et la femme sont créés à son image et toute la traversée de l’existence c’est de lui devenir semblable en vivant, au présent, dans des paroles et des gestes d’amour ; ainsi chaque instant est densité d’éternité.
Devenir semblable, oui, mais non à la force d’un poignet volontariste mais par la puissance de l’Esprit que le Christ donne au monde. C’est cela la grâce, accueillie et donnée dans la gratuité ; elle travaille au « sanctuaire de la conscience ». Bernanos l’avait bien compris, lui qui dans son approche du réel avait pris à bras le corps l’expérience humaine dans sa totalité et sa fragilité, avec au creux de sa pensée, une aspiration à la vraie lumière. Sa parole en mourant est significative à l’adresse de Dieu : « et maintenant à nous deux ! » laissant entendre ; « et maintenant jette les derniers replis du voile sur la condition humaine !» Il rejoignait Saint Paul « à présent, nous voyons confusément comme dans un miroir mais un jour nous Le verrons face à face »
Déjà la lumière du Ressuscité brille sur l’humanité ; elle efface, au cœur disponible, l’ombre des faiblesses humaines que révèle la conscience. En effet Si les mots « au commencement était le Verbe » et « le Verbe s’est fait chair » prennent du poids dans notre vie, c’est en raison de la Résurrection du Christ qui vient transfigurer les faiblesses humaines. Saint Paul nous dit que si le Christ n’a pas traversé la mort, nous sommes « les plus fous d’entre les hommes ». Mais si le Christ est ressuscité, le monde, le cosmos, reçoit la lumière d’un amour qui nous enveloppe comme il enveloppe les bergers, comme il enveloppe le surgissement du Christ du Tombeau. C’est sous la lumière de la résurrection que la vie humaine entre dans un élan nouveau. Un port d’accostage lui est offert quoi qu’il en soit de sa navigation périlleuse car l’humanité est accompagné du Ressuscité et de son Esprit Saint ; « je demeure avec vous tous les jours jusqu’à la fin de l’histoire ». L’Histoire est une histoire d’alliance avec Dieu, une histoire sacrée. En ce sens, le « sacré » de l’Histoire, loin d’être une séparation du quotidien, devient appel à la « sainteté », élan d’osmose du banal des jours avec la sainteté de l’amour de Dieu.
Non, les disciples du Christ ne sont pas des demeurés, enfumés par des colportages. C’est un peuple d’humbles gens en qui demeure le Ressuscité et en qui demeure le sang des martyrs mêlé comme celui du Christ au drames de l’histoire humaine tels la saint Barthélémy, tels des épisodes des croisades et plus récemment des grandes guerres en Europe « chrétienne ». L’histoire des chrétiens est une histoire dans la chair et la liberté humaine fragile. Mais, à travers ces faiblesses et fragilités, personnelles et collectives, l’Esprit Saint tient allumée la flamme du Ressuscité. C’est celle de l’Espérance, C’est celle de la foi en Celui qui demeure avec nous, fussions-nous tombés au plus bas. Au plus bas, se trouve toujours la Croix du Christ, celle des maudits, croix d’Espérance pour les moments les plus maudits de l’histoire humaine.
Chaque fois que je fais mémoire de la passion et de Résurrection du Christ lors de l’eucharistie, je sais qu’avec Lui je marche sur la mer, c’est-à-dire sur les pires ravages de l’existence humaine à travers le monde, je marche sur la mort avec l’Espérance d’un accomplissement, par grâce, dans la lumière totale dont parlait Bernanos.
Quel bonheur que la Nativité d’un Sauveur, envoyé par le Père des miséricordes ! L’Esprit le donne au corps d’une femme appelée Marie. Une autre femme Marie-Madeleine, femme guérie dans ses amours, donne le Ressuscité au monde.
Gilles Gracineau
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