Ostensions – Eymoutiers

Jean Michel Salomon

Le père Jean Michel nous a quittés le lundi 16 mars ; ses obsèques ont lieu dans l’intimité ce jour, samedi 21 mars à 9h30, dans une église d’Annecy. Gilles Gracineau nous offre son témoignage :

 

Jean-Michel Salomon un homme empoigné par le Christ.

 

Jean-Michel Salomon, d’une famille d’un grand commerce de meubles à Annecy, était promis à une belle carrière en étant envoyé à l’école d’ébénisterie, la célèbre école Boulle, département des beaux-arts. De famille étrangère à la foi, plongée dans le travail, Jean-Michel a mené une vie très libre. Alors qu’il vivait dans le milieu des jeunesses communistes, un soir dans un café un jeune lui propose un livre en disant : « tu liras ». Il le prend, il le met dans sa poche et le pose au-dessus de sa tête de lit. Tombé malade, il attrape le livre et tourne page après page. Illumination ! Le voici saisi. « C’est pour moi » ! Un cheminement et le voici qui arrive à la maison :  » maman j’ai quelque chose à te dire » Tout de suite la maman lui propose de l’argent, pensant qu’une fille était enceinte :« combien veux tu ? » ! Et c’est alors qu’il lui dévoile son intention de consacrer sa vie à l’Evangile : être prêtre. Stupeur, notamment de son père, radical socialiste, peu porté du côté des curés

 

 

Père Jean Michel Salomon – juin 2019 – CP

 

Coopération en Algérie. Formation au Prado, car c’est ce qui peut lui convenir. Ordination à Limonest, à laquelle j’ai participé. Appel pour l’Algérie. Arrivé à Alger, le nonce apostolique lui dit au cours d’une réunion à l’évêché : « quel gâchis de prêtre pour vous au travail d’enseignant ! » c’est alors que Mgr Duval, évêque d’Alger, l’appelle à l’écart de la réception et lui dit : « ne l’écoute pas, c’est moi qui t’envoie !». 18 ans dans la montagne à Beni-Sliman, vie livrée à ce peuple, vrai disciple du Père Chevrier qui disait à propos des pauvres du quartier de la Guillotière à Lyon : « j’irai au milieu d’eux, je vivrai de leur vie et ils verront ce qu’est un prêtre ». Il devient professeur. Il forme des jeunes avec une belle autorité reconnue par ses pairs. Plusieurs élèves deviendront ministres ou hauts-fonctionnaires. Devenu conseiller pédagogique, il accompagne des enseignants. Des amitiés se nouent.


La vie à Beni-Slimane est simple. Maison sans eau, qu’il faut aller chercher la nuit car il y a foule de monde à se servir ; pas d’électricité. Eucharistie célébrée chaque nuit tombée. Maison à la porte toujours ouverte où petit à petit, grâce à son style de vie ouvert et confiant, viennent s’assoir des amis musulmans dans une belle familiarité, pendant qu’il corrigeait les copies de ses élèves. Visite de temps à autre aux moines de Tibhérine la nuit ; Frère Luc le fascine par sa bonté. Soutien à une communauté religieuse à 80 kms. Amour profond et respectueux de ce peuple musulman.


Mais le temps se gâte avec l’émergence islamique dont l’épicentre est à Beni-Slimane. Assassinats se succèdent alors qu’ils sont méconnus à Alger. Le voici enlevé 3 fois. La 3e fois, c’est plus rude. Marche durant toute la nuit ; attaché dans une salle, soudain, assoupi, il entend le cri d’une femme : « lâchez cet homme, sinon je tire dans le tas ». Elle avait saisi une kalachnikov. Le voici relâché en pleine nuit dans la nature, car elle avait dit : « je connais cet homme il a sauvé mon fils de la mort ». En effet Jean-Michel avait traversé quelque temps auparavant, au risque de sa vie, les barrages islamiques pour conduire son fils mourant à l’hôpital quand personne ne voulait le faire.


Très vite il est expulsé, la tristesse au cœur et devant apprendre plus tard, avec peine, que les amis qui venaient chez lui avaient été égorgés. Lors de son départ, seuls quelques-uns des enseignants lui disent au revoir car la peur règne.


C’est alors que le père Antonio Bravo, responsable du Prado général, l’envoie, aux antipodes de son expérience, en Amérique du Sud, au Mexique à Ciutad-Juarez, à la terrible frontière des USA, passage des migrants, trafic, assassinats en grand nombre. Il accepte tout de suite. Stage de langue à Louvain et grand départ pour vivre dans un immense bidonville. Lui qui n’avait pas célébré de baptêmes pendant 18 ans, il est submergé de célébrations. Il se laisse conduire par les événements pour épouser ce peuple par la langue et la culture. Les « communautés de base » le prennent par la main. Il se laisse instruire avec humilité au travers des influences de narcotrafiquants. Il accompagne des équipes, telles celles des personnes prostituées. Il passe du temps à la terrible prison voisine où règnent la peur et la violence.


Le Prado vient à manquer d’un accompagnateur des équipes de prêtres du Prado sur l’Amérique du Sud. Antonio lui demande d’être formateur. C’est ainsi qu’il parcourt différents pays, Chili, Pérou, Bolivie, Nicaragua… Heureusement il a une bonne carcasse !


Puis un autre appel lui est fait : celui de l’Assemblée du Prado Général. Le voici assistant d’Antonio Bravo qui l’envoie parcourir le monde, de l’Afrique du Sud à la Corée du Sud, au Vietnam, à l’Afrique de l’ouest. Lors de ces missions, il connaît toutes sortes d’aventures au péril de sa vie, péril du lion, péril des factions en guerre qui lui tirent dessus, situations angoissantes dont parle saint Paul dans sa deuxième lettre aux Corinthiens.


Au bout de six ans il retourne au Mexique. On lui confie en plus d’autres charges, des paroisses dans le désert. Mais la fatigue est là. Et c’est l’infarctus pour lequel il est soigné à Lyon.


Peu de convalescence. Psychologiquement affecté, il accepte d’aller vivre à Claveisolles, dans le Beaujolais, auprès des sœurs âgées du Prado. Puis il est envoyé à Saint Martin en Haut, une autre maison de sœurs âgées du Prado. Pendant tout ce temps il est accompagnateur à la formation des séminaristes du Prado, et accompagnateur de nombreuses religieuses. Il prêche des retraites à mesure que ses forces lui reviennent.


Je me trouve en 2015 pour 9 mois de retraite-réflexion à Limonest. Je suis dans son équipe pradosienne. Nous échangeons. Il me propose de venir avec moi, ce que j’accepte avec joie.

 

 

le 30 juin 2019 – Eymoutiers – CP

Eymoutiers. Je l’accueille. Le milieu le surprend par son attitude globale de méfiance à l’égard de l’Eglise alors que beaucoup sont baptisés, lui qui avait connu les croyants de l’islam et les chrétiens du Mexique. Et c’est une vie d’équipe qui s’installe, où nous nous complétons dans la mission. Jean-Michel s’implique auprès des EHPAD, dans les groupes bibliques. Ses homélies du dimanche ou lors des sépultures et sa présence humble et respectueuse touchent beaucoup de personnes qui aujourd’hui en témoignent. Beau compagnonnage avec un peuple.


Chaque matin et soir nous prions ensemble évoquant nos rencontres ; nous prions pour les uns et les autres. C’est comme un « cahier de vie » oral avec des visages évoqués portant joies ou peines : paysage humain exposé au Seigneur. Chaque jour comme le demande le Père Chevrier fondateur du Prado, Jean-Michel passe un long temps dans l’étude de la Parole de Dieu, sa nourriture. Il écrit ses homélies, comme sa correspondance, d’une écriture ciselée, précise, comme le travail d’un ébéniste. Il corrige la feuille de messe que je prépare. Il anime quelques retraites, me libérant même d’une retraite en monastère que j’avais acceptée par imprudence ! Il soutient au téléphone des religieuses d’Asie ou d’Amérique du Sud présentes à la communauté des sœurs du Prado à Lyon. Il réalise localement, avec une grande patience et bonté, des accompagnements spirituels.


Mais l’embolie l’entraîne à l’hôpital, semaine pendant laquelle il relit entièrement les lettres de Saint Paul. La maladie entrave un temps son action, mais non sa belle présence au pays. Malgré sa guérison il sent un épuisement le gagner. C’était, à son insu, le cancer. Sa sœur tombe malade. Au cours de l’hiver dernier il décide de la rejoindre. A peine arrivé à Annecy, la maladie se déclare. Anne-Marie, Armand, Diana et moi lui rendons visite. Il célèbre l’eucharistie dans sa maison, ancienne maison de Saint François de Sales. La fatigue est grande. Nous prenons le repas en son absence car il a dû aller se reposer.


Nous avons des échanges au téléphone. Sa voix faiblit de jour en jour. Son ami d’enfance, médecin, Gaby, le visite. Au vu de sa santé, il le fait hospitaliser. Une dernière fois l’équipe pastorale réunie en vidéo conférence l’appelle au téléphone et pour l’entendre nous dire son affection. Gaby va l’accompagner; Jean-Michel lui confiera avant de mourir – selon son souci constant de ses frères – : « dis à G. de se ménager ».

 

Jean-Michel & Gilles – Eymoutiers – CP

 

« Un sacré bonhomme, un grand bonhomme ce Jean-Michel », me disait Michel Saulnier, un de ses grands amis prêtres avec lequel il conversait de temps à autre. Empoigné par le Christ comme Saint Paul au chemin de Damas, exigeant pour lui-même, il ne regardait pas en arrière, laissant au passé ses rencontres en Algérie ou au Mexique ; il était tendu vers Celui qui l’avait saisi. Il a rendu Gloire au Christ par une humanité labourée par l’Evangile, mêlé aux expériences humaines vécues en sa chair ou en son entourage, et par un enseignement nourri de la contemplation de la miséricorde de Dieu. Un soir, dans la prière il me disait : « il faut être prêt à paraître devant Dieu. Gilles, je suis en paix »; « oh ! oui ne crains pas, il nous recevra en son grand Amour ». Voici un passage du prophète Isaïe qu’il aimait beaucoup :

 

« Mais maintenant, ainsi parle le Seigneur,

lui qui t’a créé, Jacob, et t’a façonné, Israël :

Ne crains pas, car je t’ai racheté,

je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi.

Quand tu traverseras les eaux, je serai avec toi,

les fleuves ne te submergeront pas.

Quand tu marcheras au milieu du feu, tu ne te brûleras pas,

la flamme ne te consumera pas.

Car je suis le Seigneur ton Dieu, le Saint d’Israël, ton Sauveur.

Tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur et je t’aime.

Ne crains pas, car je suis avec toi.

Je suis le Seigneur, votre Dieu saint, le Créateur d’Israël, votre roi !

Ainsi parle le Seigneur,

lui qui fit un chemin dans la mer,

un sentier dans les eaux puissantes,

lui qui mit en campagne des chars et des chevaux,

des troupes et de puissants guerriers ;

les voilà tous couchés pour ne plus se relever,

ils se sont éteints, consumés comme une mèche.

C’est moi, oui, c’est moi qui efface tes crimes,

de tes péchés je ne vais pas me souvenir. »

Isaïe 43

Gilles, le 21 mars 2020

 

 

le 30 juin 2019, la paroisse Sainte Anne s’est réunie autour de Jean Michel pour fêter son départ pour Annecy, un beau dimanche ensoleillé dans les jardins du presbytère, mélange de tristesse, d’émotion puis de joie et de bonheur partagé … CP.